De la vie réelle des ... réalisateurs

Bonjour à tous,
si je me permets d'écrire aujourd'hui sur ce blog, à propos d'un sujet qui n'a pas grand chose à voir avec Secretos de Lucha, c'est que je suis en colère. Oui, je suis en colère. Bien sûr, il y a mille très bonnes raisons d'être en colère face aux choses qui ne marchent pas sur ce vaste monde, mais aujourd'hui j'ai décidé de parler un peu de ce qui ne se sait pas toujours à propos des gens qui comme moi vivent, ou essaient de vivre, de la création audiovisuelle.
Ce n'est pas tout de faire un film, de faire des recherches, d'écrire des scénarios, de voyager dans un festival pour présenter le produit fini et rencontrer des gens et échanger nos impressions, toutes choses passionnantes bien sûr. Il faut aussi vivre. C'est idiot, mais pour vivre, même nous, on a besoin d'argent. Même nous, on a besoin d'un toit pour se loger, et donc on doit aussi payer un loyer. Nous aussi, il nous arrive de manger, autre chose que les petits fours servis lors des receptions des festivals. Il se trouve que je suis en train de chercher un logement. Je souhaite louer un appart, voire même seulement une chambre dans une colocation. Et oui, j'ai bourlingué un peu dans ce vaste monde, suffisamment pour aimer une certaine liberté; une certaine indépendance, et c'est pour cela que, décidant depuis juillet dernier de revenir poser mes valises en France, j'ai décidé de chercher un lieu à moi, pour vivre. Et ce n'est pas facile, car tout est cher, même hors de Paris, à Bordeaux. Mais quand, comme hier, je m'entends dire: "Je vous appelle pour vous dire, que , bien que nous vous ayons trouvé sympathique, nous préférons ne pas vous donner la chambre, parceque vous avez dit que vous alliez demander l'aide au logement. ça ne nous paraît pas juste. Notre fils est jeune salarié, et lui n'a pas droit aux aides au logement. Que vous vous ayez droit à l'apl, ça ne nous plaît pas, ce n'est pas juste."

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Je me suis posée la question, qu'est-ce qui, parmi les choses que j'avais racontées pendant la visite de la maison, m'avaient valu ce retour, le jour suivant. Le fait d'avoir mentionné que j'avais vécu plusieurs années en Australie? J'y suis partie étudiante, en 2000, j'y ai travaillé quand j'ai pu, en particulier à partir de 2004, mais je peux vous assurer qu'en Australie, comme dans n'importe quel pays du monde, on peut avoir des soucis d'argent, être chômeur, galérer, ce qui plusieurs fois a été mon cas, mais je me suis toujours débrouillée, même avec peu d'argent. Est-ce le fait d'avoir parlé de ma famille? d'origine Basque, nés en Uruguay, vivant à Bayonne en ce moment? Le lien basque peux t'il être une menace? Le fait d'avoir dit que je travaillais en ce moment avec d'autres réalisateurs pour une petite série de documentaires pour France 3 Aquitaine? Bien sûr, je n'ai pas précisé que ce travail pour le moment avait représenté deux numéros, que le premier vient d'être payé maintenant avec un peu de retard, et que je n'ai pas encore assez de cachets en France pour avoir le statut d'intermittente du spectacle.

Est-ce le fait d'avoir dit que mon documentaire avait plutôt bien marché dans les festivals? Mais le film a souvent voyagé sans moi, et ce n'est que quand mon voyage a pu être financé par les festivals ou les ambassades de France, que moi j'ai pu m'y rendre. Le seul voyage que je me sois payé, cofinancé à un tiers par la smac, mais qui était tout de même bien couteux à mon budget, était pour la présentation officielle de mon film en Uruguay en mars 2007 : le coût du voyage (partant de Sydney) s'est élevé à 2000 euros. Le consulat de France à Sydney avait promis de collaborer à hauteur de 500 euros aux frais de présentation du film, en Australie. Cela n'a pas été réalisé.


Alors, je vais donner ici quelques informations pour que ceux qui ne connaissent pas notre quotidien comprennent un peu la stupéfaction, puis la colère qui m'ont envahie après ce coup de fil qui prétendait de me faire ressentir de la honte à solliciter les apl.

Pour faire Secretos de Lucha, j'ai du lutter. Longtemps. 4 ans et demi. Les premières interviews que j'ai réalisée ont été le fruit de mes économies et de l'aide de mes parents, qui m'ont financé en 2002 l'achat d'une petite caméra Sony TRV17, et l'achat du billet d'avion pour le premier de mes voyages en Uruguay, lors de la première réunion de famille ayant eu lieu à ce moment là. La première fois que les 8 frères et soeurs Bidegains allaient être tous réunis, et ce, depuis 1968.

Mes parents sont-ils riches? Bien sûr, en amour, en rêves, en valeurs, en désirs de refaire le monde pour le meilleur, à croire que chacun de nous a un meilleur possible, qu'on peut s'améliorer, et s'entraider, que nous tous, avons un trésor, qu'il faut découvrir et cultiver.
Ma mère, Libertad, est assistante maternelle. Je l'aime de tout mon coeur. Elle n'apparaît pas dans le film, parce que j'ai voulu concentrer l'histoire sur le vécu des frères et soeurs de mon père, prendre le cas d'une seule famille. Et pourtant elle feraît elle aussi un magnifique sujet de documentaire, pour tout ce qu'elle a vécu. Je le reserve pour une autre occasion. Ma mère ne pourra pas prendre sa retraite avant ses 65 ans, car si elle le faisait, sa retraite serait inférieure à la moitié du SMIC. Elle adore son métier, et c'est avec un amour et une patience merveilleuse qu'elle accueille chez nous les 2 à 3 jeunes enfants ou bébés qui lui sont confiés à la journée. Mon père, Jean Paul, que vous voyez dans le film, est à la retraite, après presque une vingtaine d'années de travail en tant que chauffeur de bus (conducteur-receveur) à la STAB à Bayonne. Sa retraite elle aussi est extravagante: autour de 600 euros par mois. C'est avec beaucoup d'économie, de sacrifice et d'effort qu'ils ont fini de payer le crédit pour l'appartement dans lequel ils vivent à Bayonne, un T5 de 85m2. Je suis la seule des 3 filles que nous sommes à venir occuper le plus régulièrement la chambre qui m'est réservée.
Et pourquoi moi qui voyage autant, comme le prouve ce blog, et le site de Secretos, je ne vis pas dans mon propre appart?
Et bien c'est parce que, tenez-vous bien, jusqu'à septembre dernier, j'aurais eu bien du mal à me le payer. Et oui. C'est forcément que je suis dépensière, n'est-ce pas, triviale et légère? Et oui, bien sûr, c'est pour cela que je me fais gronder régulièrement par ma mère. A propos de mes courses. Ou plutôt du manque de mes courses. J'arrive juste de temps en temps à me laisser convaincre à acheter, une nouvelle jupe, une paire de soulier, chaque trois ans, parce que ma mère veut être fière de moi quand je participe à ces festivals; quand, c'est comme ça que, moi, je le vois, je sors "en représentation", "dans le monde", et que je croise toutes ces belles personnes et ces beaux gens qui font partie du monde de l'audiovisuel.
Mais faire le film, cela a dû me rapporter de l'argent n'est-ce pas? Oui, bien sûr. J'ai été payée, et plutot très bien pour une première réalisation de documentaire long métrage. 8000 euros. C'est mon salaire de réalisatrice. Attention, pas par mois, mais en tout. Pour un travail qui s'est étalé sur plus de quatre ans (fin 2003 signature du premier contrat de cession de droits d'auteur avec la SMAC, mi 2007, à la fin du montage de la version longue). Si je suis repartie en Australie en février 2007, jusqu'en juillet, c'est parce que là-bas, je pouvais trouver du travail facilement, et j'ai travaillé, en tant que monteuse dans une chaîne de télé locale, ABC. Vivant là-bas,en colocation, j'ai pu économiser de quoi subsister les premiers mois de mon "installation" en France. De retour en France, j'ai un toit par la générosité de mes parents, ou d'amis qui me reçoivent quelques jours en fonction de mes déplacements. Je suis ravie d'avoir pu trouver ces premières occasions de faire mes pas dans l'audiovisuel en France, avec les Petits Univers, série de documentaires qui passe en ce moment sur France 3 Aquitaine les samedis après midis. Jusqu'à présent, cela représente 2 CDD de deux semaines, 20 cachets de réalisation. Pour avoir le statut, il en faut 43.
Entre 2002 et 2007, le temps de faire le documentaire, qu'ai-je donc fait?
En 2002, j'ai filmé les premières interviews en Uruguay. Puis j'ai cherché du travail en France. Dans mon domaine, je n'en ai pas trouvé: trop qualifiée, ou pas assez, ou bien mes expériences australiennes n'ont pas été reconnues. Bref, j'ai travaillé deux mois comme serveuse dans un restaurant à Paris.
En 2003, grâce à une connaissance, j'ai travaillé quelques mois comme assistante de production dans une maison de production de publicités à Madrid. Payée au lance-pierre, pendant 4 mois. Puis deux grands évènements sont arrivés: j'ai été sélectionnée pour participer au "Film à 99 euros", compétition organisée dans le cadre de feu le Festival du cinéma au féminin de Bordeaux, et j'ai obtenu la bourse déclics-jeunes de la Fondation de France. Le premier évènement m'a permis de réaliser ce court-métrage, "Pascal", un conte des fêtes de Bayonne, qui est maintenant visible sur Youtube. Avec ce budget, 99 euros, j'ai payé les deux cassettes dvcam, et la nourriture pour mon équipe lors des deux soirées de tournage. Le deuxième événement, la bourse déclic jeune, m'a permi de me libérer quelques mois des contraintes du travail pour recommencer la recherche d'un producteur afin de mener à bout le projet, Secretos de Lucha. Ces 7500 euros ont également permis l'achat d'un ordinateur portable, un mac G4 que j'appelai tendrement Dora, et qui est mort il y a juste quelques mois, en septembre 2007, paix à son âme. C'est sur Dora que j'ai fait les premiers montages d'une sélection d'extraits des interviews de mes oncles et tantes, qui ont aidé à convaincre Jean-François Hautin, de la SMAC, maison de production installée à Mérignac, du potentiel de mon projet.
En 2004, avec l'appui de Jean François, et de la région Aquitaine, je suis partie 4 mois en Uruguay, à faire des recherches documentaires, à faire les petits pas nécessaires à une meilleure approche du sujet et des membres de ma famille, à tâter le terrain et découvrir quelle résistance (et elle était grande) s'opposait à ce type d'investigations en Uruguay. J'ai travaillé quelques mois par la suite dans le festival alors encore appelé La Cita, le festival latinoaméricain de Biarritz, en tant que room-list, afin de renflouer les caisses. Pendant ce temps, avec mon producteur, nous travaillions à l'écriture et au dépot de dossier et de demandes de subventions. En 2005, enfin nous avons pu filmer la première partie des interviews avec les membres de la famille en Uruguay, avec du matériel professionnel. Mais il nous manquait encore des images. Cette même année, j'avoue, j'ai cru me perdre. Je me remettais en cause dans plusieurs domaines de ma vie, je ne voyais aucune sortie nulle part. Nous attendions les aides de la région, de la procirep, d'autres aides encore, des chaînes de télé pour garantir une diffusion, et donc une aide du CNC... Je suis repartie encore une fois en Australie, parce que la-bas, j'y trouvais du travail, de montage. J'ai postulé à l'entrée à la prestigieuse école de cinéma australienne, AFTRS, l'équivalent de la FEMIS en France, et ils m'ont prise... Dans le département montage. Je redevenais donc étudiante (le plus beau des statuts, n'est-ce pas? Être celui qui apprend...) pour un an.
C'est alors que les aides nous ont été attribuées, et que nous sommes allés chercher en 2006 les interviews qui nous manquaient, et où nous sommes allés filmer cet énorme pari qui avait été le mien (et qui en France particulièrement a été critiqué): les reconstitutions. C'est entre la France et mes études en Australie que s'est passé le montage de Secretos. C'est grâce à l'aide de plusieurs des étudiants et enseignants de cette école, l'AFTRS, que le film bénéficie d'un fini plus lisse, en particulier d'une musique originale magnifique, l'oeuvre de Claire et Angus.
2007: fin du montage de Secretos, design sonore fait gratuitement par Olivia Monteith, mixeuse d'ABC, étalonnage fait par mes soins, ainsi que le marketing, les sous-titrages, traductions espagnol et anglais, versions PAL et NTSC, les DVD, etc... Pour subsister, je travaille en indépendant en tant que monteuse, je donne des cours de montage, dans cette même école à Sydney, où je fais également du conseil technique.
Septembre 2007 enfin, après tant d'années de travail: projection, en grande première mondiale, de Secretos de Lucha, dans sa version longue, au festival latino-américain de Biarritz... Tout le reste, vous le savez, vous le lisez dans ce blog. Le film est pris dans plus de 25 festivals internationaux, il gagne quelques prix, il émeut des publics variés, je crois qu'il touche, qu'il inspire même ceux qui le voient et qui comprennent son message: qu'il faut lutter, lutter pour ce que l'on croit.
Alors alors... Ces APL...
Je risque de choquer ce monsieur encore plus: sachez monsieur, que non seulement je demande les APL, mais qu'en plus je suis au RMI. AAAAAAAAAAAHhhhh. Ben Oui.
Parce que depuis juillet, date de mon retour en France, et jusqu'au mois dernier je n'ai eu aucun revenu. Je n'ai jamais eu droit aux ASSEDIC. Mon travail de réalisation effectué en France, était trop saupoudré ici et là pour donner un droit à quoi que ce soit, et on ne prend pas en compte le travail effectué en Australie, bien sûr. Pour l'année 2006, ainsi, l'année de référence dans le dossier de demande des APL, j'ai touché à peu près 4000 euros. Pour le tournage et le montage en France. Le reste du temps, j'étais étudiante en Australie. Pour cela, et parceque je suis actuellement RMISTE, j'aurai droit aux APL cette année.
Maintenant, ça y est, ne vous en faites plus, j'ai touché mon salaire, et le prochain est à suivre très rapidement. Je sais que je vais encore réalisaer quelques numéros pour la série de France 3 Aquitaine, ce qui devrait me permettre d'avoir très vite mon statut d'intermittente. J'ai encore quelques économies de mon travail en Australie, et je peux voir venir l'année avec un sentiment de sérénité relative, ce qui est assez rare dans notre profession. J'ai hâte de ne plus être RMIste, car cela voudra dire que j'arrive à vivre de mon travail. Car voyez-vous, bien que ce ne soit pas un travail salarié, que je ne cotise à aucune retraite, et que cela ne soit comptabilisé nulle part, je suis en train de travailler: à faire des recherches pour de nouveaux projets, à écrire, des fictions, des documentaires, des films ayant un contenu, peut être parfois un message.
Le droit au rêve, le droit à la liberté, le droit à une vie décente, à une dignité.
Je devrais avoir honte de toucher le RMI? d'avoir droit aux APL? Le peuple de France a lutté pour ces droits. Ces mêmes droits que ce président que d'autres que moi ont élu grignote de jour en jour. Non, je n'ai aucune honte. Et non, désolée, je ne me tairai pas. Avec, ou sans toit.
France, mon cher pays: j'y suis, j'y reste, et je me battrai pour toi.
Pour ton vrai toi.

Maiana

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